Un peu avant l'été, pendant que les chevaux courent et que les moteurs rugissent, il y a toujours ce silence étrange dans l'air, ce fracas imperceptible des vagues qui se cabrent et avancent, dans un mouvement continu, le jour comme la nuit, inondant les rues d'un bleu profond comme l'océan. Je pense à cette ville, aux personnes qui y vivent, à tout ce faste, à ces bêtes sauvages, je pense à ces marins morts en mer, à ces orphelines endormies, je pense à ce qu'il reste de ces choses-là, à ce qu'il restera de ces journées printanières, de ces nuits ensoleillées où l'on oublie tout, et je me rappelle qu'ici nous ne sommes que de passage, comme ces souvenirs, emportés, par les rêves et les marées.

À la fin du 19ème siècle, à Deauville, le couvent des soeurs franciscaines recueillait les orphelines des marins morts en mer. Il fut ensuite transformé en hôpital, puis laissé à l'abandon. En 2017, je suis allé sur place, entre ces murs abandonnés. J'y ai entendu le temps passer sur la ville, avec sa force de bête. J'y ai entendu la mer aussi, et son ressac, devenir menaçant. Progressivement, une réalité parallèle m'est apparue, submergée par l'océan, mélancolique, insaisissable. Je me suis alors mis à photographier la ville, ses fantômes. J'ai laissé les frontières s'effondrer derrière un bleu monochrome, mélangeant la nuit au jour, le vivant à l'inanimé, le rêve à la réalité. C'était déjà la fin du printemps, et je savais que le flux de la mer, comme les rêves et les saisons, finirait par tout emporter.

Cette série a été réalisée au cours d'une résidence d'un mois à Deauville, dans le cadre du festival Planche(s) Contact. Ce travail y a été exposé tout le mois de novembre 2017, pendant le festival.

"Quand je me suis promené dans l'exposition, j'ai été fasciné par le mur du fond. C'est un mur bleu. C'est un mur à la manière d'Yves Klein. On est dans le bleu, on plonge dans le bleu. On plonge dans une Deauville céruléenne, azuréenne. C'est la nuit en plein jour. C'est une nuit bleue, c'est une nuit qui réenchante Deauville, qui fait que la ville, tout à coup, a cet aspect un peu curieux, que l'on retrouve dans certains films de Godard. Vous savez, dans Pierrot le Fou notamment, il y a ces séquences totalement bleues. Et bien, il y a ce côté pop chez Nyima Marin, qui m'a vraiment beaucoup intéressé et beaucoup marqué. Ce que vous verrez derrière, c'est vraiment l'essence de Deauville. C'est une ville-cinéma, ce sont dix-neuf photogrammes qui se déroulent à hauteur de regard, comme le long d'un celluloïd, pour raconter une histoire. L'histoire que l'on veut, bien évidemment."

Thierry Grillet, Directeur de la diffusion culturelle, BNF

"Né en Grèce mais vivant à Paris, le photographe Nyima Marin a livré une série poétique et onirique, intitulée Le souvenir des marins. Il a photographié différents endroits de Deauville en posant un filtre bleu devant son objectif pour un rendu fantomatique sur chaque cliché. Dans une vidéo, il explique : “J’avais envie de travailler sur la couleur et le filtre bleu était une façon de tenir la réalité à distance. Cela donnait lieu à l’envie de créer une série comme si l’océan avait envahi la ville”. Les reflets blancs de la lumière sur le plastique souple de son filtre ajoutent une dimension magique et insaisissable à l’image"

Article sur Konbini, "Coup de coeur pour trois jeunes photographes à suivre", novembre 2017

"Le public est par la suite invité à voter tout au long du festival pour récompenser un autre des résidents. Notre coup de cœur revient à Nyima Marin et sa série Le souvenir des marins, une déambulation à l’esthétique très cinématographique pendant laquelle le photographe nous plonge dans un univers bleuté qui n’est pas sans rappeler les nuits américaines, ces scènes extérieures tournées de jour de façon à créer l’illusion de la nuit."

Article sur Lense.fr, "Planche(s) Contact : la photographie s'affiche à Deauville", novembre 2017

Le souvenir des marins

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